EDMOND QUINCHE
DENIS LAGET
Des éphiphanies
13 NOVEMBRE – 19 DÉCEMBRE 2025
Regarder par une fenêtre ‒ en avoir la possibilité ‒, c’est aller au plus loin, s’évader, comme on le dit trivialement de la rêverie. C’est la possibilité ultime de vagabonder au-delà de toute limitation, celle qu’on tente d’obturer chez les reclus et les détenus. Il arrive qu’une fenêtre se referme comme une parenthèse, le temps arrive où la veduta qui autorisait à porter un regard sur le monde et l’histoire qu’il nous raconte, se referme. En peinture, sans avoir l’air d’y toucher (puisqu’il s’agit du lointain), le paysage dit donc où nous en sommes de l’ouvert et du clos, de l’autorisé et de l’autorité.
Pour Denis Laget et Edmond Quinche, le paysage n’est pas la représentation normée d’un genre pictural, mais le lieu de tension entre matière, mémoire et imaginaire. Loin des dispositifs topographiques complexes, tout autant que des illustrations édifiantes ou des naïvetés charmantes, les deux artistes interrogent la substance même du paysage, sa capacité à faire vaciller les certitudes perceptives et à ouvrir des brèches dans la perception du réel.
Chez Laget, le paysage surgit de la peinture elle-même, dans un processus quasi organique où la matière précède le motif. Ses toiles, souvent de petit format, semblent issues d’un recyclage pictural : la palette devient tableau, la tache devient forme, le support est plié… Ce surgissement aléatoire, où abstraction et figuration se confondent, confère à ses paysages une dimension spectrale. Rien n’est affirmé, tout est en suspens, comme dans une marine dans la tempête. Le paysage n’est pas représenté, il est évoqué sur le mode de l’apparition. Laget ne peint pas sur le motif, il peint depuis la peinture, dans une logique d’auto-engendrement. Le paysage devient alors le lieu d’une énigme, d’un refus du didactisme, où le regardeur est invité à errer, sur des fondrières, des sentes boueuses, toujours en déséquilibre.
Les œuvres de Quinche, réalisées à l’huile sur petits panneaux, se déploient donc directement sur un morceau de nature, le bois. Quinche a par ailleurs un œuvre gravé considérable, ayant notamment collaboré avec Tal Coat et bien d’autres pour la lithographie. Comme le bois, l’usage de la pierre démontre une façon de travailler non pas sur (le motif, le paysage ou la nature) mais avec. La planchette sur laquelle il peint, la tavola, peut évoquer aussi bien le panneau à peindre, que la table à manger, voire la table anatomique ou la table de dissection. D’ailleurs, les incarnats veloutés auxquels recourt Quinche évoquent tout autant une esthétique luxueuse de l’haruspice, de la boue, des viscères et des peaux retournées (il existe dans la production de l’artiste de nombreuses natures mortes, dépouilles d’oiseaux et de sangliers, de même que la viande et la coupe ‒ jusque dans les bouquets de fleurs ‒ sont récurrents dans la peinture de Laget). La nature est là, mais toujours évanescente, insaisissable, confuse, toujours voilée de couleur. Quinche ne cherche pas à représenter le paysage, peut-être même pas à le voir véritablement, mais à en capter la vibration intérieure, la part d’indicible.
Chacun à sa manière, Denis Laget et Edmond Quinche refusent la transparence du motif, préférant l’opacité, le trouble, l’ambiguïté. Le paysage n’est pour eux ni un décor ni même un motif mais un champ de forces chaotique, un lieu d’émergence et de résistance. En cela, il est surtout intérieur.
Karim Ghaddab


















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